« Le contrôle du cyberespace est devenu un enjeu de survie pour le régime russe »


Le 26 février, un consortium composé de plusieurs médias d’investigation d’Europe orientale a commencé à publier les résultats du dépouillement des « KremlinLeaks », une fuite historique de données concernant les plus hautes autorités russes. En effet, il est rarissime que des leaks, ces jeux de données dérobés à la suite d’un piratage informatique, concernent le Kremlin et permettent de lire in extenso les correspondances des plus hauts responsables du pays.

Plutôt que victime, la Russie est d’ordinaire vue comme un producteur de leaks à fort impact politique : ce fut le cas en France en 2017 avec les « MacronLeaks », ou encore en 2016 aux Etats-Unis avec les « DNCLeaks », qui avaient dévoilé les correspondances de l’équipe de campagne de Hillary Clinton et avaient été allègrement instrumentalisés par Donald Trump.

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Avec les « KremlinLeaks » dévoilés il y a quelques jours, la situation s’inverse donc totalement. Les correspondances des caciques du Kremlin auxquelles les journalistes ont eu accès apportent des éléments inédits pour comprendre comment le contrôle de l’information est devenu un enjeu de survie pour le régime russe. Production de films, création de buzz sur les réseaux sociaux, fabrication de faux sites d’actualité… Toute la panoplie de la « guerre hybride » semble subitement mise à nu. Or, dans ce maelström d’informations brutes, dont les journalistes n’ont encore révélé qu’une petite partie, on perçoit très rapidement que le contrôle de l’information, si cher au régime, dépend désormais d’infrastructures numériques aussi spécifiques que critiques. Plus largement, ces leaks permettent de considérer ces dispositifs comme le talon d’Achille de l’autoritarisme russe.

« Postes-frontières numériques »

Le consortium des « KremlinLeaks » mentionne en effet l’Automated System of Internet Security (ASBI), qui s’avère être l’un des principaux centres névralgiques de la censure numérique russe. Pilotée par le Centre fédéral des fréquences radio, cette structure matérialise la manière dont les autorités pensent l’informationnel et le cyber comme un continuum opérationnel, stratégique et géopolitique. L’une des principales missions de l’ASBI est en effet de piloter le vaste réseau des appareils de lutte contre les menaces (TSPU), ces fameux « boîtiers » qui permettent aux autorités russes de bloquer ou de ralentir les contenus jugés indésirables.

Se présentant sous la forme d’armoires informatiques standards installées chez presque tous les grands opérateurs russes, les TSPU sont le produit de la loi dite du « Runet souverain », portant sur le segment russe de l’Internet. Votée en 2019, cette loi entend donner aux autorités russes les moyens techniques et administratifs de filtrer mais aussi de couper le réseau russe du reste du monde en cas de menace extérieure. Parce qu’ils sont censés permettre l’application de cette loi, les TSPU ont donc été conçus comme des « postes-frontières numériques », qui contrôlent ce qui entre et ce qui sort du segment russe du cyberespace, avec une acuité de plus en plus inquiétante. Grâce aux derniers développements technologiques, les TSPU sont même capables de bloquer des centaines de services VPN différents, ce qui fait peser une menace inédite sur les libertés numériques en Russie, où ces solutions de chiffrement sont massivement utilisées pour contourner la censure.

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Catégorie article Politique

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